Guerre Israël /Hamas : une exigence de clarté

Complément à une mise au point

Derrière le même titre ContreTemps pour la revue papier et pour la revue web, deux équipes rédactionnelles travaillent en indépendance l’une de l’autre, avec des approches qui s’avèrent pouvoir être différentes sur des sujets sensibles.

C’est le cas pour l’éditorial publié le 15 octobre sur le site contretemps.eu, titré « En solidarité avec la lutte du peuple palestinien ». Celui-ci étant signé « La rédaction de contretemps », nous avons tenu à informer nos abonnés que nous ne nous sentions pas engagés par cette prise de position dont nous ne partagions pas la teneur (1).

Les camarades responsables du site web ont corrigé la signature, pour préciser qu’il s’agit de la rédaction de la revue web. Nous les en remercions.

Des demandes nous ont été adressées nous invitant à préciser nos désaccords avec cet éditorial. Ce que nous faisons avec le présent texte et pour engager un débat nécessaire.

L’éditorial explique que « Contretemps se rattache à la tradition de la gauche anticoloniale et internationaliste », et qu’à ce titre sa « solidarité avec la résistance palestinienne est une constante de sa ligne éditoriale ». Nous sommes bien évidemment d’accord avec ce rappel.

Le problème vient avec la caractérisation faite de l’action du 7 octobre menée par le Hamas, caractérisée comme une « opération militaire d’une ampleur inédite des forces armées palestiniennes dirigées depuis Gaza par le Hamas ». Ce qui tend à minimiser la gravité de l’évènement. Or, le problème est moins la participation à un   « débat public d’une grande intensité » que l’obligation d’une analyse précise et d’une prise de position nette. Sans – là est l’exigence de clarté – considérer comme une même unité le Hamas et « les forces armées palestiniennes » (diverses), et à fortiori entre celui-ci et les populations palestiniennes, et d’abord celles s’efforçant de survivre à Gaza malgré l’embargo israélien et sous le gouvernement du Hamas.
Condamner les « crimes de guerre », tant ceux du Hamas que ceux de l’État d’Israël, s’impose. Mais cette condamnation, morale ou humaniste, n’épuise pas le jugement politique nécessaire. Sinon le risque, comme on le voit ici, est dans un premier temps de renvoyer dos-à-dos les responsables de ces crimes. Et, dans un second temps, dès lors que l’on présente les évènements actuels comme « un des épisodes de la lutte d’un peuple contre un système colonial en cours depuis trois quarts de siècle », d’instaurer une dissymétrie écrasante entre la politique colonialiste de l’État d’Israël des décennies durant et les actions épisodiques des Palestiniens (elles-mêmes de natures fort différentes, qu’on pense entre autres aux Intifadas et aux actions du Hamas).
Certes, expliquer n’est pas justifier. Mais sous couvert d’expliquer on ne doit pas esquiver la question décisive : condamne-t-on ou non l’action menée par le Hamas le 7 octobre ?

Il s’est agi d’un exploit militaire, qui a révélé des capacités du Hamas et des fragilités de l’État israélien toutes deux insoupçonnées. Il a ramené aux yeux du monde une     « question palestinienne » que de multiples régimes politiques s’efforçaient de condamner à l’oubli.

Mais cela au prix d’un massacre de civils juifs. Massacre massif, sauvage, accompagné de prises d’otages. Et dont la dimension spectaculaire a été délibérément conçue et mise en œuvre. Parce que le projet du Hamas est de rappeler au peuple juif – en Israël et au-delà – que pèse toujours sur lui une menace existentielle.

Agissant ainsi la direction du Hamas savait que s’ensuivrait de la part du gouvernement israélien une répression sauvage et démesurée sur la population de Gaza. Plus grande l’humiliation essuyée par le gouvernement israélien colonialiste et racialiste, et plus puissante l’émotion de la population, et plus la fuite en avant du pouvoir israélien serait sans retenue.

Nous voyons ce qu’il en est à Gaza aujourd’hui. Ce qui risque d’être pire encore demain. Et nous constatons également combien les appels à la raison, comme quoi on ne répond pas à un crime horrible par un crime encore plus épouvantable, restent inaudibles.

Condamner l’intervention et le projet du Hamas, non seulement pour des raisons morales pleinement légitimes, mais aussi politiquement, est indispensable.

C’est le point d’appui pour condamner avec le maximum de force la barbarie que le pouvoir israélien déchaîne contre le peuple de Gaza, qu’il veut confondre avec les responsables des crimes du 7 octobre dans une même revanche en forme de punition collective.

C’est aussi nécessaire pour dénoncer, comme il est dit dans l’éditorial du site web, les politiques des gouvernements occidentaux, dont le gouvernement français, de soutien aveugle à la politique israélienne. Cela contre ce qu’ils pourraient et devraient faire : imposer un cessez-le-feu immédiat, apporter l’assistance humanitaire d’urgence à la population de Gaza, et prôner une perspective politique respectueuse des droits du peuple palestinien. Avec le souci de ne pas aider à creuser un abîme entre le peuple israélien et le peuple palestinien, et de dessiner une perspective de paix et de justice.

Antoine Artous, Francis Sitel

(1) : Mise au point

Le 15 octobre 2023 a été publié sur le site contretemps.eu le texte « En solidarité avec la lutte du peuple palestinien ». Ce texte est présenté comme « Éditorial » signé de « La rédaction de contretemps ».
Pour éviter toute confusion, nous rappelons que Contretemps web et la revue papier ContreTemps sont autonomes l’un de l’autre.
La rédaction de la revue papier ContreTemps n’est pas engagée par cet éditorial, dont elle n’a pas été informée, qu’elle n’a donc pu discuter et dont elle ne partage pas la teneur.

Antoine Artous et Francis Sitel

Directeurs de la rédaction de ContreTemps

16 octobre 2023

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