Après les primaires en Argentine : une note de Pierre Salama

Argentine : la menace Javier Milei

Les primaires pour la présidentielle ont pour fonction de sélectionner les candidats qui seront présents lors de l’élection qui aura lieu le 22 octobre. Elles départagent les candidats au sein de chaque coalition et éliminent ceux qui recueillent moins de 1,5 % des voix. Malgré le caractère obligatoire du vote, l’abstention s’est élevée à 30 %.

 Promis à la 3ème position, Javier Milei, ultralibéral et « anarcho-capitaliste », est arrivé premier avec 30 % des voix. Admirateur de Trump, il prône un État réduit à son strict minimum, la liberté du port d’arme, la vente d’organes, il est climatosceptique et  hostile au droit à l’avortement…

En seconde position, Patricia Bullrich (16,8 % et 28,2 % pour sa coalition), très conservatrice, ne cache pas une proximité politique avec Javier Milei.

Le représentant de la coalition péroniste dite de centre gauche, actuel ministre de l’économie, n’arrive qu’en 3ème position (21 %, 27 % pour sa coalition).

Une victoire en octobre de Javier Milei, celle d’une extrême droite radicalisée, signifierait un bouleversement dramatique pour l’Argentine, avec des effets pour toute l’Amérique latine, voire au-delà.

 Pour prendre la mesure de ce qui se joue, lire :

Ci-dessous une note de Pierre Salama au lendemain de cette primaire.
Et dans ContreTemps n°58 deux articles consacrés à l’Argentine :

° Pierre Salama, « l’Argentine à deux pas du désastre ? Une approche économique de la crise argentine ».

° Eduardo Lucita, « l’Argentine sur la voie de la décadence ».

 

Argentine

Ce qui devait arriver, arriva, en pire.

La droite libertarienne a gagné les élections devant la droite et les péronistes, arrivés troisième. À qui la faute, qui en porte la responsabilité ? Lorsque les péronistes sont revenus au pouvoir, ils héritaient d’un lourd passif laissé par la présidence de Macri. En quelques années la dette externe a enflé, nourrie par des fuites de capitaux financées en grande partie par des emprunts externes. D’où cette dette avec ses échéances laissées à la présidence Fernandez, véritable cadeau empoisonné impliquant des négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) pour des rééchelonnements, de nouveaux emprunts, et bien sûr son cortège de contraintes imposées par ce dernier. Alors, bien sûr, on pourrait s’en tenir là et attribuer la « faute » à cet héritage.

Mais l’incapacité des gouvernements successifs à gérer ces contraintes, et ce faisant leur « capacité » à nourrir l’inflation devenue de plus en plus insoutenable, a alimenté un mécontentement de plus en plus fort de la grande majorité de la population, surtout de la part des plus démunis, et ce malgré les efforts faits pour alléger les conséquences de l’inflation sur le pouvoir d’achat. Par un ressentiment croissant les électeurs se seraient tournés vers la droite et surtout cette forme nouvelle d’extrême droite qu’est l’anarcho-capitalisme, dite encore libertarienne.

Nul doute que les « battus » attribueront leur défaite à cet héritage, au FMI, voire aux réseaux sociaux.  Et ils auront en partie raison. Mais en partie seulement. Ce serait en effet oublier leurs responsabilités propres : dissensions entre les péronistes, entre la vice présidente au lourd passé et le président, leur incapacité à définir une ligne politique claire, crédible. Pour avoir refusé de faire une maxi dévaluation quand il fallait la faire, par crainte (justifiée) que cela entraînerait récession et baisse de pouvoir d’achat, ils ont manœuvré à la godille, multipliant les micro dévaluations. Ils ont ainsi entretenu la baisse de la crédibilité quant à l’efficacité de leur politique, les fuites de capitaux, et, cerise sur le gâteau, ils ont multiplié les taux de change avec une imagination quasi surréaliste.

Le déficit de rationalité s’est traduit par une baisse de pouvoir d’achat conséquente. Malgré toute une série de mesures importantes, pas seulement sociétales, l’incapacité du gouvernement à résoudre des problèmes qu’il devait résoudre a conduit à ce résultat. Nous l’avons montré dans notre article. Le pire est que ce que le gouvernement voulait éviter est arrivé, et ce dans les pires conditions. Dès les résultats de la primaire généralisée, le peso a chuté de plus de 20%, et les politiques que pourrait décider le gouvernement d’ici les élections ont perdu toute crédibilité.

Et maintenant ? Maintenant, il convient de dénoncer les mesures qui sont annoncées : la remise en cause des transferts sociaux, donc un appauvrissement qui ira s’accentuant et l’abandon (à nouveau) de la souveraineté nationale en optant pour le dollar comme monnaie nationale. S’il est exact qu’il y a davantage de dollars en circulation et en thésaurisation en Argentine que de pesos, il en demeure pas moins que la dollarisation implique une maxi dévaluation dont le coût social sera très important, une libéralisation de l’ensemble des marchés, dont cette fois celui du travail, une quasi disparition de la Banque centrale. Après avoir dénoncé le manque d’autonomie de la Banque centrale (source de manipulations monétaires selon les tenants de la dollarisation), l’Argentine se trouvera devant une situation baroque : dépendre de la Banque centrale des États Unis. Étant donné que celle-ci n’a pas intérêt à être le prêteur en dernier ressort de l’Argentine, cela signifie – comme cela s’est passé sous Menem, qui a conduit à l’implosion du plan de convertibilité après des années de miracles mirages et son cortège de nouveaux pauvres et de pauvres appauvris – que les dollars ne pourront venir que d’excédents de la balance commerciale, des comptes courants et de la balance des capitaux. Cela n’est possible que s’il y a une libéralisation complète cette fois des marchés, une accentuation des inégalités sociales, une régression sociale particulièrement élevée que la reprise d’une croissance pourrait atténuer (comme cela fut le cas au début de la présidence de Menem avec la décision de mettre en place un plan de convertibilité et une dollarisation de l’économie).

Ce projet doit être combattu. L’expérience de l’implosion du plan de convertibilité montre combien celui-ci est néfaste. Le rappel de ce qu’a été la dollarisation est nécessaire, l’histoire ne doit pas se répéter deux fois, car elle serait une tragédie. Il est d’ailleurs curieux (?) que les partisans de la dollarisation se réfèrent à deux expériences, celle du Salvador et celle de l’Équateur, petits pays, et bien peu à l’expérience du Plan de convertibilité, si ce n’est que cette fois, selon eux, il faudrait davantage libéraliser qu’hier.

Cette défaite des péronistes n’est pas seulement celle de l’Argentine. Il y a de grands risques que ce tsunami des primaires, s’il se confirme aura des conséquences sur nombre de pays latino-américains. Hier, il n’y a pas longtemps, on parlait d’ondes de gauche, le risque que ce soit le début d’une onde droite est aujourd’hui très présent.

 15 août 2023

Pierre Salama

 

Previous post ContreTemps n°58
Next post Guerre Israël /Hamas : une exigence de clarté